Initiative UDC : encore une victoire de l’illusion

Les résultats des votations fédérales du 28.11.2010 ont permis à l’initiative populaire, impulsée par le parti UDC et nommée « Pour le renvoi des criminels étrangers », de passer. Elle permettra concrètement au Conseil Fédéral d’élaborer des articles de lois visant à expulser les étrangers reconnus coupables de certains délits (viol, vol par effraction, bénéfice abusif d’assurance sociale,…). [1]

Au lendemain de cette votation, une partie du peuple s’est réveillée avec le goût amer de sa défaite face à l’avancée des idées et des attitudes xénophobes. On notera au passage que lorsque les médias parlent de « victoire du peuple », il ne s’agit que du peuple qui peut voter (majeur, sans tutelle et … de nationalité suisse) et qui veut voter (adoptant cette illusion de liberté qui permet au prolétaire de choisir entre le lard et le cochon).
Des manifestations populaires ont logiquement émergé dans plusieurs villes de Suisse, avec des personnes légitimement contrariées voire blessées par l’arrogance d’une telle initiative, quoique avec un discours se limitant à la question du racisme et rarement élargi à la remise en cause du système socio-économique que défendent les soi-disant élites suisses. D’ailleurs, ces manifestations n’étaient pas seulement populaires car elles étaient soutenues par des partis politiques.[2]

Du côté des politiciens, justement, on assiste désormais à une pièce de théâtre entre les partisans et les opposants à l’initiative.
Prenons l’exemple de l’émission télévisée Infrarouge, du 30.10.10, deux jours après la victoire de l’UDC, sur la TSR. Des pantins ultra-médiatisés de gauche et opposés à l’initiative tels que Jean Zygler (qui affirme pourtant haut et fort, plusieurs fois dans l’émission, qu’il est pour le renvoi des criminels étrangers) et Ada Marra (conseillère nationale d’un parti qui n’a de socialiste que le nom) ont affrontés l’UDC représentée par sa marionnette championne de la bouffonnerie, Oskar Freysinger.

Zygler et Freysingr, Infrarouge (TSR), 30.11.10Freysinger et Marra, Infrarouge (TSR), 30.11.10

Une fois de plus, le peuple peut assister à un nouveau round offert par le système spectaculaire-marchand, qui voit s’opposer les défenseurs de ces futures lois réellement xénophobes (car supprimant l’égalité de traitement entre suisses et étrangers) et ceux qui se sentent, de par leur statut d’étranger ou par simple intérêt politique, blessés par la victoire de la droite dure helvétique.
Or, cette nouvelle illusion ne fait que tirer un rideau supplémentaire devant les yeux du prolétaire[3], lui voilant toujours plus le terne éclat de la réalité : il est totalement soumis et aliéné au capitalisme par l’exploitation en partie gratuite de sa force de travail et par l’autoritarisme mis en place pour protéger ce capitalisme suicidaire, qui est en passe de mener la planète au cataclysme militaire, écologique et social.
Le spectacle est ainsi à nouveau au service de l’aliénation capitaliste. Comme l’a très bien décrit Guy Debord : « A mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. Le spectacle est le mauvais rêve de la société moderne enchaînée, qui n’exprime finalement que son désir de dormir. Le spectacle est le gardien de ce sommeil[4]

Le combat spectaculaire mené par les deux camps avant et après cette votation est placé à un niveau qui nie totalement la lutte des classes. De part et d’autre, des énergies colossales sont mobilisées soit pour attaquer de front la population étrangère, toujours plus confirmée dans son statut de bouc-émissaire créateur des problèmes sociaux, soit pour utiliser ces mêmes boucs-émissaires et les « défendre », dans une stratégie d’alignement politique d’intérêt commun menée par les partis dits de gauche ou de la droite modérée. Et les tentatives d’esquiver constamment la question sur les contradictions de ce système et sur sa chute inexorable et nécessaire sont nombreuses.

Ainsi, dans l’émission TV que nous venons de citer, Jean Zygler nous donne l’impression de dénoncer cette illusion (« Le problème est ailleurs ») et donne des pistes. Cependant, les propositions de cet homme, ayant fréquenté dans le passé les Jeunesses Communistes, visent surtout à rendre le capitalisme un peu plus « social » et non à le renverser : fixation d’un seuil pour les loyers, expropriations des grandes banques, interdiction pour les grandes entreprises générant du bénéfice de licencier, …[5] Ces idées sont certes louables de prime abord, car elles cherchent à rétablir l’Etat social, mais elles ne remettent pas en question les fondements du système, pourtant générateur des nombreuses contradictions contre lesquelles Zygler affirme vouloir combattre. On constate donc que le but est surtout de diminuer les privilèges des plus riches. Ceci évitera à la révolte populaire de grandir, en passant ainsi la pommade au prolétariat. Dommage, pour un homme ayant écrit autant de livres critiques sur le capitalisme.
De même, lorsque Freysinger se montre offusqué qu’on lui rappelle que l’UDC reçoit le soutien moral du FN et de l’UMP (partis ouvertement bourgeois), il ressort la question raciale pour prouver que quand-même, lui, le patron d’UDC Valais, n’a rien à voir avec les nazis et l’extrême-droite. Au passage, ce professeur de lycée en profite pour assimiler allégrement nazisme, stalinisme et communisme, niant l’Histoire et faisant mine d’ignorer que le bloc soviétique et les pays asiatiques placés sous son influence n’ont jamais été communistes, mais bien soumis à des doctrines mortifères s’apparentant au stalinisme, ayant développé un capitalisme d’état. [6]

Mais le manque de discernement de Freysinger et de son faire-valoir frustré Gregroy Logean (célèbre pour ses attaques contre les minorités homosexuelles, autres boucs-émissaires[7]) font apparaître au grand jour leur projet de renforcement du communautarisme et du racisme, armes très efficaces pour bloquer toute tentative d’organisation de lutte collective, en créant des divisions au sein du prolétariat.

Freysinger et Logean, UDC

Ainsi, dans un communiqué publié sur le site de UDC-Valais, où les deux compères se délectent de la victoire de l’initiative, ils commettent l’erreur d’écrire dans ce même texte la phrase suivante, censée expliquer une des raisons qui ont poussé une majorité des participants à voter « oui » à cette initiative raciste: « [Les Suisse] voient encore qu’une politique de naturalisations encore trop laxiste conduit inexorablement, si nous n’y mettons pas un frein, à la mort lente de l’Occident chrétien. » [8]
Or, la politique de naturalisation n’a aucun lien avec le renvoi des criminels étrangers, mais les deux clowns ont malgré tout glissé cette phrase dans leur communiqué, car leurs visées sont à comprendre dans la montée du sécuritarisme et du communautarisme, deux gros bâtons à enfiler dans les roues de la machine révolutionnaire.
Concernant l’aspect communautariste, Freysinger ne s’est pas gêné d’affirmer, dans une émission radio au soir de la victoire, que «[la Suisse importe de la criminalité] »[9] et de rappeler deux jours plus tard sur l’émission télévisée Infrarouge « [qu’avant, la Suisse était un espace de paix sociale car on filtrait mieux à la frontière] ». [10] Pour ce qui est du sécuritarisme, il est facile de comprendre que les démarches politiques en Suisse s’inscrivent dans une manipulation du thème de l’insécurité à des fins électoralistes, permettant de voiler les contradictions structurelles du système (chômages, accidents de travail, précarité…). Comme le montre l’excellent documentaire tourné en France par le Collectif Panic, intitulé « Braves gens n’ayez plus peur »[11], l’insécurité, notion entourée de flou et difficilement quantifiable, devient le thème numéro 1 devant les autres problèmes qui sont, eux, précisément chiffrés. Les tours de passe-passe permettant cette supercherie résident, notamment, dans la sur-médiatisation de faits divers et isolés, suivie de sondages dont les chiffres sont interprétés de manière intéressée, puis analysés enfin par des « experts » déjà acquis à l’idée du sécuritarisme.

Ne nous méprenons pas : au Parlement helvétique, aucun parti, aucun homme politique, de droite ou de gauche, n’envisage la démarche révolutionnaire contre le système capitaliste. Tous sont complices de l’exploitation capitaliste. « C’est la lutte de pouvoirs qui se sont constitués pour la gestion du même système socio-économique, qui se déploie comme la contradiction officielle appartenant en fait à l’unité réelle ; ceci à l’échelle mondiale aussi bien qu’à l’intérieur de chaque nation. »[12]
Cependant, l’UDC est aujourd’hui certainement le plus dangereux, car il se trouve aux avant-postes de cette course en avant désespérée visant à prolonger la durée de vie de ce système déjà à l’agonie. Sa popularité lui vient de sa position stratégique dans le paysage politique suisse, lui permettent de parler au peuple avec des mots qui génèrent des émotions de peur et les réflexes de défense les plus individualistes. Dans un tel contexte, chacun se replie sur soi-même, sur ses privilèges et son portefeuille, sur sa famille et, d’une certaine manière, sur sa communauté, désignant, sous l’impulsion de l’UDC, les boucs-émissaires porteurs de tous les vices du capitalisme. La classe sociale, seule réalité historique et socio-économique, est ainsi abandonnée et reniée par le peuple, car regroupant, par exemple, des individus de nationalités ou d’orientations sexuelles différentes.

La position adoptée par l’Organisation Socialiste Libertaire (OSL), dans son tract publié le 30.10.10, deux jours après la victoire de l’initiative UDC, vise extrêmement juste : « La lutte contre l’UDC est anti-capitaliste. Il est stratégiquement impossible de vaincre une telle force en s’appuyant simplement sur une alliance de forces anti-racistes ou anti-xénophobes sans que soit prise en compte la question sociale. » Et encore : « La clé de la lutte contre l’UDC passe certes par le refus du racisme et de la xénophobie mais aussi par le refus de l’exploitation capitaliste, de la contrainte étatique, du conformisme généralisé. Combattre l’UDC c’est dénoncer sa nature de parti au service d’un capitalisme féroce, d’un étatisme autoritaire, d’un patriarcat renouvelé, d’une inégalité sociale croissante. »[13]

Le racisme n’est donc qu’une facette de l’ennemi à abattre. Ce dernier, éclairé par la critique révolutionnaire, porte un nom : CAPITALISME.

Seule une prise de conscience du mensonge généralisé nous permettra de mener ce combat.

Déchirons le voile de l’illusion qui tente d’endormir nos consciences révolutionnaires !

TUMULTE


[1] Texte de l’initiative sur le site de la Confédération Suisse : http://www.admin.ch/ch/f/pore/vi/vis357t.html

[2] Appel à la manifestation : http://ch.indymedia.org/fr/2010/11/78997.shtml

Compte rendu des manifestations dans un article du 24 Heures : http://www.24heures.ch/renvoi-etrangers-600-personnes-rues-lausanne-2010-11-30

Vidéo du JT de la TSR sur les différentes manifestations : http://www.tsr.ch/video/info/journal-19h30/2738180-initiative-sur-le-renvoi-des-criminels-etrangers-plusieurs-manifestations-ont-derape-dans-les-grandes-villes-suisses-dimanche-soir.html#id=2738180

[3] Par prolétaire, on désigne toute personnes qui ne possède que sa force de travail pour vivre, et donc qui est obligée de se soumettre au travail salarié pour vivre. Ce terme regroupe donc une immense majorité de la population, par opposition à la minorité bourgeoise, qui elle possède les moyens de productions et y retire du profit pour vivre et prospérer.

[4] Guy Debord, La Société du Spectacle, paragraphe 21.

[5] Emission Infrarouge du 30.10.10 : http://infrarouge.tsr.ch/

[6] Ibid

[7] Communiqué du site Internet de UDC-Valais « Non à la banalisation de l’homosexualité » : http://www.udc-valais.ch/?p=854

[8] Communiqué du site Internet de UDC-Valais « Victoire du peuple, des victimes et de l’UDC » : http://www.udc-valais.ch/?p=2253

[9] Débat radio Freysinger-Leuba : http://www.tsr.ch/info/suisse/2732301-criminels-etrangers-victoire-de-l-initiative-udc.html

[10] Emission Infrarouge du 30.10.2010, op. cit.

[11] Documentaire « Braves gens n’ayez plus peur » du Collectif Panic (France) : http://www.collectifpanic.org/index_bravesgens.htm

[12] Guy Debord, op. cit., paragraphe 55.

[13] Tract publié sur le site de l’OSL « L’UDC, au premier rang d’un capitalisme de pillage. Combattons le capitalisme » : http://www.rebellion.ch/index.php?option=com_content&view=article&id=207%3Aludc-au-premier-rang-dun-capitalisme-de-pillage-combattons-le-capitalisme&catid=58%3Atracts-osl&Itemid=91&lang=fr

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3 Commentaires

  1. Publié le 6 janvier 2011 à 14:30 | Permalien

    «Je te souhaite que ta loi retombe sur ton père, ta mère, ta femme, tes enfants, et toute ta postérité. Et maintenant avale ta loi.» — A. Artaud.

    Là ne s’agit pas de s’en contenter.

    Les lois LOPSSIs sont des lois scélérates, certes, mais elles s’attaquent à quelque chose de plus profond : la mémoire historique.

    Un arrière-goût de tout ce que les régimes autoritaires ont concocté de meilleur.

    Mais nous ne nous arrêterons pas là, ce n’est pas au nom de quelque idéal de liberté républicain ou démocrate que nous désirons nous lever.

    Au nom de rien d’ailleurs.

    La haine totale de ce monde totalitaire suffit à nous accrocher à la moindre intensité de résistance pouvant naître.

    Mais nous ne nous arrêterons pas là non plus. Nous combattons sans défendre mais combattons avec certains horizons en tête : celui de voir un jour sans Travail, sans Propriété, sans Misère, bref tout ce qui a dicté les grandes insurrections ouvrières du siècle dernier…

    Nous sommes une histoire perdue cherchant à se retrouver en ces temps effacés :

    Mieux que partout, la France a réussi à ménager l’oubli chez ses sujets, non seulement l’oubli de ce pourquoi elle règne encore, cette France, mais l’oubli qu’il existe des ailleurs, d’autres notes, d’autres couleurs que le gris bétonné et le noir fumeux.

    «C’est une époque bien carabinée» disait un camarade et c’est véritablement vrai. Tout a faillit ici, pourtant tout semble encore fonctionner. Là, se dévisage le capitalisme : il n’a besoin que de notre consentement soumis pour exister. Il ne lui faut même plus inventer quelques bonheurs qui tiennent, des merveilles qui font espérer. Il ne lui faut, désormais, plus que perfectionner ses outils policiers.

    Lui-même se l’avoue lorsqu’il met en scène sa critique : «Le monde est pourri, vous avec, restez sage» relaye le Spectacle.

    Puisque le monde dérive, pourquoi ne pas dériver lentement avec lui. C’est ce qu’ON voulait nous faire croire.

    Hélas, le meilleur des mondes n’a pas encore triomphé !

    «C’est un beau moment, que celui où se met en mouvement un assaut contre l’ordre du monde […] Voilà donc une civilisation qui brûle, chavire et s’enfonce tout entière. Ah ! Le beau torpillage.»

    Il nous faut retrouver la mémoire, une mémoire tactile, celle des armes, de l’émeute, de la résistance matérielle. Il nous faut des réflexes, il nous faut se mettre d’accord une bonne fois pour toute : «faire apparaitre dans la pratique une ligne de partage entre ceux qui veulent encore de ce qui existe, et ceux qui n’en voudront plus».

    En temps de guerre, ceux qui prétendent échapper à celà sont ceux qui ont déjà choisi un camp : celui de l’engagement le plus total dans le désengagement. Celui de rejouer les mêmes échecs en se disant que cela fonctionnera un jour.

    Ce sont eux, les véritables amnésiques. L’amnésie est une position bien confortable en ce monde, elle permet de s’ancrer léthargiquement dans un espoir messianique. Un espoir qui n’a pas fini de faire vivre et de laisser mourir…

    «Diverses époques ont eu ainsi leur grand conflit, qu’elles n’ont pas choisi mais où il faut choisir son camps. C’est l’entreprise d’une génération, par laquelle se balaient les empires et leurs cultures. Il s’agit de prendre Troie ; ou bien de la défendre. Ils se ressemblent par quelque côté, ces instants où vient se séparer ceux qui combattront dans les camps ennemis, et ne se reverront plus.» — Guy Debord.

    Dimanche 26 décembre 2010.

    Faire apparaitre dans la pratique une ligne de partage :

    http://juralibertaire.over-blog.com/article-journee-d-emeutes-a-rome-14-decembre-63058452.html

    http://juralibertaire.over-blog.com/article-la-grece-brule-49861206.html

    http://www.occupiedlondon.org/blog/2009/12/07/147-photos-videos-from-tonight-in-athens/

  2. Publié le 5 décembre 2010 à 23:25 | Permalien

    Remarque pertinente et juste.
    En effet, ce qui nous intéresse réside dans leur positionnement analytique qui semble actuellement très critique.
    Que dire des personnages derrière ces tracts… Il serait intéressant de regarder l’évolution de l’OSL dans le contexte actuel, sur les prochains mois à venir.

  3. Anne Onyme
    Publié le 5 décembre 2010 à 21:51 | Permalien

    J’ai posté un commentaire pour vous sur indymedia sans voir que je pouvais le poster ici, je m’en excuse. Le voici:

    C’est un très bon texte, d’une grande qualité, je salue la création de votre blog que je vais suivre attentivement.

    Une seule petite chose me chiffonne… citer comme ça l’OSL… quand on sait que leur leader et tête pensante, aristides pedrazza, est le chef du plus grand syndicat du canton de vaud (particulièrement réformiste), a été conseiller personnel du municipal en charge de la police et figure de proue de la gauche « anti-casseurs » pendant le g8 en 2003, entre autres péripéties… bref il porte et a porté pas mal de casquettes parallèlement à celle d’ « anarchiste »… c’est un groupe à prendre avec des pincettes à mon avis, même si ici leur analyse est juste.

    Sinon, bonne chance pour votre site! 🙂